Et Dua Lipa a fait ça
#moiaussii
Création Glob Théâtre (Bordeaux)/ 22.23.24 mai 25
photo: Laurent Wangermez
De David à Dua
Après la disparition de David Bowie en janvier 2016, outre toute une sémantique musicale et référentielle, je perdais également un important repère de ma vie intime. Les différents projets menés autour de cet artiste trouvaient naturellement une fin et n’étaient pas appelés à être reproduits ça et là afin d’éviter la posture souvent obscène de l’hommage aux morts.
En quête d'un substitut, une "méthadone vivante" afin de combler le vide laissé par cette disparition, aucune nouvelle voix ne parvenait à réveiller le processus de fascination. Dua Lipa arrivait un peu par hasard dans les occurrences proposées par la machine et plus spécifiquement grâce au réseau Instagram et son lot de « journaux intimes », sans aucun lien pourtant avec la figure de Bowie. Sceptique et peu enclin à la réception de cette musique simpliste et formatée pour l’air du temps, loin de la richesse complexe des compositions savantes de Bowie, contre toute attente l'album Future Nostalgia (2020) s'infiltrait insidieusement, étrangement, dans mon quotidien.
Peu à peu, curieusement l'univers musical de Dua Lipa me captivait. Les rythmes poussifs, les mélodies accrocheuses et l'esthétique rétro-futuriste de l'album commençaient à réveiller des mécanismes d'éblouissement que je croyais perdus… Je me surprenais à traverser le quotidien, bercé par l’écoute renouvelée de cet album, jusqu’à l’éprouver physiquement avec ce nouveau corps qui m’appartient encore et avec lequel je ne danse plus.
Les années étaient passées.
Inspiré par cette redécouverte, je décidais de concevoir une nouvelle performance scénique après avoir travaillé 15 ans auparavant la figure de Bowie à travers le projet Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust joué plus de 130 fois en Europe et célébré par le public et la presse.
Pour ce nouvel opus j’ai souhaité collaborer avec Vincent Jouffoy du groupe I Am Stramgram dont la pop scintillante et l’orientation folk de ses compositions ouvrira un champ nouveau dans la réception de l’œuvre de Dua Lipa et plus spécifiquement son album Future Nostalgia.
Ce projet visera donc à explorer cette force de fascination renouvelée, à travers une mise en scène célébrant celle qui dans la foule des anonymes fut repérée, transformée par l’industrie musicale en une « machine de guerre», prenant le soin de délimiter les contours d’un tel pouvoir de fascination dans un contexte post-#MeToo et d'un mouvement féminisme affirmé.
Etait t’il plus simple pour un homme de 43 ans d’avouer sa fascination pour Bowie en 2009 que de renouveler cette question pour l’éblouissement d’une femme de 29 ans en 2025 ? Ce geste tentera d’y répondre en explorant également les recoins mystérieux de ma propre construction et la mise en perspective du choc intime que fut la découverte de Dua Lipa mêlé d’un sentiment de honte.
Exercice en forme d'étoile
Construit à la manière d’un puzzle dont on rassemble peu à peu les pièces du motif, le projet Et Dua Lipa a fait ça se joue des codes du théâtre en procédant à une construction en étoile par laquelle les éléments filmés (pastilles vidéos, captation en direct) , le jeu, la musique jouée live, les textes lus par des invités tirés au sort dans le public, participent à l’élaboration de cette création composite, grâce à cette alchimie toute particulière que Renaud Cojo mettait en œuvre il y a déjà quinze ans avec son projet Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust, et qu’il maîtrise tout à fait pour ce nouvel opus hybride.
Ici, il s’agit à nouveau de convoquer toute une périphérie affective avec laquelle Renaud jongle, guidé par un entretien en fil rouge, filmé en caméra cachée avec son psychanalyste, et avec lequel il tente de comprendre les mécanismes de la fascination. Cet exercice périlleux de la mise en abyme offre alors une œuvre en hyperlien rassemblant des évènements disparates fabriqués par la résonance que procure cette attirance fortuite pour la personne et l’œuvre de Dua Lipa.
Parmi ces rencontres évoquées au plateau : Vincent Macaigne, le boucher de proximité de Renaud Cojo, une professeur de danse classique, des disquaires indépendants, des influenceurs ou influenceuses, un jeu de Play Station 5, un prêtre exorciste…
Sur le plateau, sous le feu d’une 15 aine de Selfie Ring Light utilisés d’ordinaire par des Instagrameuses ou Tiktokeuses, Renaud Cojo s’efface progressivement au profit de son image décomplexée de toute honte ; honte avec laquelle il tisse également une partie de ce projet à travers des textes de philosophes et de psychiatres, dont les travaux de Serge Tisseron par exemple en constituent une part essentielle.
Une dérisoire scène de plastique rose, telle qu’on pourrait la retrouver dans des jeux vidéos ou des décors de grosses tournées de concert pop, accueille enfin celui « qui ne danse plus », mais dont le vertige s’accorde également avec la présence de Vincent Jouffroy (I Am Stramgram), chanteur de talent et multi-instrumentiste inspiré, qui permet également à ce projet d’insuffler sa dimension poétique, voire tragique, alors que le public ne cesse de rire…
Conception et jeu : Renaud Cojo
Conception Musique et jeu : Vincent Jouffroy (I AM STRAMGRAM)
Images : Laurent Rojol
Son : Paul Magne
Lumières : Fabrice Barbotin
Construction décor : Jean-François Huchet
Production : Ouvre le chien / La Route Productions / Glob Théâtre